Chroniques

Pierre Harel chronique # 428

C’est la 428ème chronique pour Pierre Harel,
mais la deuxième pour nous à Poprock.ca
La Famille Rock,  2020
Publié le 16 janvier 2020
Vues 2,100
Republié le 26 mai 2021

Texte de Pierre Harel

Wézo on the Rocks !

Nous sommes au début de décembre 1996. Il est 4 heures du matin. Le groupe Corbach, fier de son nouvel album Amérock du Nord, vient de donner un show intense et délirant dans un hôtel tout droit sorti d’une bande dessinée de Lucky Luke, unique bâtiment de l’ancien site d’un petit village situé non loin de Lyster, où s’étaient entassés près de 300 spectateurs dans une salle au contenu public limité à 98 personnes.

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, la  formation CORBACH était alors composée de Michel Willie Lamothe à la basse, de Roger Wèzo Belval à la batterie, de Donald Do Hince à la guitare, de Michel Bess Bessette aux claviers, et de Pierre Harel à la voix.

Ce jour-là, nous étions arrivés en après-midi vers 16 heures, pour découvrir avec stupéfaction que notre imprésario jeannois nous avait encore dégoté un contrat de spectacle dans une petite bourgade disparue, ne comptant plus qu’un hôtel en bois vétuste, planté au centre d’un grand déboisement, et une ancienne station-service abandonnée. C’était devenu notre spécialité!

Après avoir immobilisé nos véhicules, nous sommes prudemment entrés dans l’étrange établissement apparemment désert, pendant que Donald, demeuré à l’extérieur, surveillait les alentours. Après quelques minutes à écouter le silence, je me mis à hurler avec Willie :
– Y’a-tu kékun icitte ?
– Aye ! Y’a quelqu’un ?
Du fond d’un lointain souterrain une voix étouffée répondit :
– Oui! Oui chu-là! Vous êtes-tu l’orchestre ? Vous êtes en avance ! Restez-là! J’arrive!
Encore quelques minutes et une voix se mit à hurler sous nos pieds :
– Ouvre la trappe! Aye Lamothe, j’ai r’connu ta voix! Ouvre la trappe! Darriére le comptoir! La p’tite porte en bas du stage a dû se r’farmer par le courant d’air quand vous êtes entrés! Enwèye tabarnac fait frette icitte!

Se dirigeant vers le comptoir de réception, construction rustique recouverte d’écorce de bouleau, Willie se pencha et tira l’anneau d’une trappe qui s’ouvrit pour retomber grande ouverte, et bingo, le cousin du bossu de Notre-Dame déboucha du trou pour s’en extirper péniblement vu que sa bédènn’debiérr* ne passait pas :
– Salut les boys! Moé cé Albert! Lamothe me connait y’était v’nu jouer par icitte avec les pénis mais ça fait longtemps! En fait, c’étaient les « Pénitents » mais tout l’monde les appelaient les pénis! Bin moué chu l’gardien de l’hôtel pi ch’t’obligé de passer par là pour aller d’sour le stage ploguer les fils du système de son quand y’a des bands*. Y’a rien icitte en hiver pendant la s’maine! On farme le courant, on met du Prestone din bols*, on vide les tuyaux, pi on coupe l’eau!

Les présentations faites, deux précautions valant mieux qu’une, nous sommes montés aux étages vérifier l’état des chambres et des toilettes, pour ensuite sortir notre équipement du van de Bessette et l’installer sur la scène pour une répétition et un sound check* avant notre souper payé, prévu pour 7 heures tapant. Les portes de l’hôtel ouvrant à 8 heures* pour un show devant commencer à 9h45, ou à 10h20, et se terminer à 3 heures du matin.

Nous avons donc installé nos amplis, accordé nos instruments, et calibré le système de son hyper vintage du vieil hôtel, que Willie, reconnu pour son amour du pitonnage de console, avait savamment amené à rugir d’un puissant son rock’n’roll. À l’époque, quand nous jouions dans de petits villages, une fois la console ajustée, on n’y touchait plus de la soirée sauf en cas de panne.

Nous avons joué quelques chansons du show devant une salle vide alors qu’habituellement, presque partout au Canada où il y a des Canadiens français, surtout au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans le nord de l’Ontario, des filles se pointaient à l’hôtel le samedi après-midi afin de voir à l’avance si les blondes des musiciens étaient là, et avec lesquels d’entre eux elles pourraient espérer passer la nuit.

Vers huit heures, un livreur de pizza est arrivé en s’excusant du retard et en déposant quatre cartons de pizzas moyennes all-dressed*, trois deux litres de Pepsi-Cola et une douzaine de verres en plastique, sur une petite table installée devant le stage* avant de disparaître :
Bon appétit les gars! C’est l’boss qui paye! M’a v’nir vous vouère à souère avec mon frére! Y’a du bon stock! On vend pas juss d’la pizza nous autres hahahahaha!

Affamés, nous avons englouti les pizzas en moins de deux. Comme je ne connaissais pas le coin, j’ai fait part de mon inquiétude à n’avoir pas vu de maisons nulle part autour, et surtout qu’il n’y ait encore personne d’arrivé. Willie, qui connaissait bien la région, répondit au bénéfice de tous :
– Icitte, comme dans bin d’autres villages des autres provinces ouskia des Québécois, les gens roulent beaucoup. Il y a plus de monde qui vivent dans des rangs, même loin du village, que dans l’village! Le match Canadien-Boston finit à 10 heures! Si le Canadien perd on commence à 9h45, si le Canadien gagne on commence à 10h20 et il va y avoir 200 chars dans l’parking à 10h15. Ça fait qu’on est mieux d’être prêts pour qu’à 10h20 tapant, Wèzo compte le beat pour « Chu un Rockeur ».

À ce moment, plusieurs employés sortis de nulle part se mirent à nettoyer la salle alors que d’autres enlevaient les énormes cadenas posés aux portes des frigidaires à bière et regarnissaient les tablettes de bouteilles d’alcools, bref, le vieil hôtel endormi reprenait vie.

Comme Willie l’avait dit, à 10h20 la salle était pleine à craquer et la vente d’alcools et de bières allait bon train. Pour aider au service des jolies waitress, nous avons retardé le début du show à 10h30 et c’est alors que Wèzo compta le fameux one, two, three, four, et qu’explosa l’intro de « Chu un Rockeur » se mêlant aux acclamations délirantes de la foule. Le Canadien avait gagné !

La soirée fut mémorable! À 2h50 exactement, Bessette donna au piano les premiers accords de la célèbre Faut que j’me pousse, qui se termina alors que les house lights* projetaient une lumière triste et blafarde sur les clients invités à quitter, sous le regard inquiétant de deux gigantesques doormen* qu’on n’avait pas vu jusque-là.

La salle s’étant vidée aussi vite qu’elle s’était remplie, Willie déjà monté avec une compagne, Wèzo et Bessette étant allés retrouver une bouteille de cognac et du lait de coco dans leur chambre, Donald et moi sommes demeurés à jaser avec des amis venus de Victoriaville. Finalement, vers 4 heures du matin, nos amis quittèrent et nous décidâmes d’aller nous coucher sans plus tarder.

En arrivant en haut de l’escalier menant au 3e étage, j’ai pensé voir au loin, à l’autre bout d’un long corridor, deux pieds dépassant de la trappe d’une machine à glace, ce qui m’a semblé, à prime abord, tout à fait irréel. Plissant les yeux, pour me débarrasser de ce que je croyais être une hallucination, je reconnus, incrédule, les pieds de Wèzo, reconnaissables entre tous les pieds de la planète :
– Aye! Donald! J’pense qu’y a deux pieds qui dépassent de la machine à glace! Je l’sais bin qu’ça s’peut pas, mais je les vois pareil! Aye! Vite Donald! Vite! C’est les pieds de Wèzo! C’est les pieds de Wèzo! Vite! Vite! Wèyons tabarnak késsé ça! Encore une autre estie d’histouère de malade!
Donald, presque paniqué malgré un fou rire carabiné hurla :
– Bin oui! C’est lui! C’est lui! Vite! Vite! Mon Wèzo! Non! Nooon! J’espère que son corps est attaché après ses pieds! Hahahahaha, on court, on court, Hahahahahahaha!

Nous avons survolé les dernières marches en courant dans les airs, et nous avons sprinté à toute vitesse jusqu’à la machine en riant aux éclats malgré l’inquiétude. En arrivant, j’ai tout de suite levé le couvercle de la machine d’où dépassaient les pieds de notre batteur, et nous avons remonté Wèzo, torse nu, en bobettes, la tête bleue d’être longtemps restée accotée sur les glaçons du fond, le corps rouge de froid et les gros yeux ronds cerclés de noir d’un homard en voie de congélation. Sans tarder, malgré les spasmes irrésistibles d’un rire incontrôlable, nous l’avons soutenu et amené jusqu’à la chambre qu’il partageait avec Bessette qui dormait déjà.

À bout de souffle, nous avions rigolé tout le long incapables de nous arrêter, pendant qu’il essayait de nous raconter, la face et les lèvres raidies de froid, comment il s’était retrouvé dans cette fâcheuse position :
– J’voulais un coco-cognac! Je voulais un coco-cognac mais y’avait pu d’glace! Ça fait que j’t’allé en charcher à la machine à glace au boutte du coulouère pi chu tombé dans l’fond! Chu tombé dans l’fond pi j’pouvais pu r’monter! J’essayais de remplir mon potte à glace mais y’en avait quasiment pu! Ça fait que j’me suis étiré pour en attraper pi j’ai glissé au fond la tête en bas, pi là j’appelais au secours, je criais, je criais, mais parsonne ne répondait pi là, chu fatigué, j’veux dormir.

Sur ce, Roger Wèzo Belval, tomba subitement dans un profond sommeil. Après l’avoir chaudement emmitouflé dans son lit et enfoncé une tuque sur la tête, nous sommes demeurés quelque temps à surveiller son sommeil en nous délectant du merveilleux nectar qu’il avait préparé. C’est tellement bon un coco-cognac on the rocks*

Bonne semaine! La 429ème Chronique de Pierre Harel racontera la véritable histoire de la rencontre d’Offenbach et de Claude Faraldo, réalisateur maintenant décédé du film Tabarnac.

*Bédènn’debiérr : Bedaine de bière.
*Band : Groupe de musiciens.
*Bols : cuvettes de wc.
*Sound Check : Test de son.
*8 heures : 20 heures et ainsi de suite de midi à minuit.
*All dressed : Toutes Garnies.
*Stage : Scène.
*House lights : Éclairage de la salle.
*Doormen : Portiers.
*On the rocks : Avec des glaçons.

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BANNIÈRE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE

1 Comment

1 Comment

  1. Geo Giguere

    19 janvier 2020 at 1:44 PM

    Par Normand Murray : Une histoire glaciale que le Rock a réchauffée a en faire fondre la neige autour.Un gros frisson musical signé Corback. Merci pour ce moment vraiment inoubliable.

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