Célébration Serge Fiori (2e partie)
Place des Arts, 15 juillet 2025
Publié le 31 juillet 2025
Une analyse de Glen Bourgeois
(Suite des 3 Serge) – Le fervent nationaliste
C’est la mention de tous ces hommes de politique, invités à témoigner, qui introduit le troisième Fiori: le fervent nationaliste. Celui qui selon Thériault dévoile à sa biographie S’enlever du chemin, « Il a regardé les résultats des élections provinciales à la télé tout au long de la prestation de l’Heptade. Le soir fatidique en novembre 1976, il quitte l’estrade en euphorie lorsque le Parti québécois gagne sa première majorité, menant effectivement une fin prématurée au spectacle. »
C’était à Halifax, peut-être la seule fois que le groupe s’est présenté dans ma province natale de la Nouvelle-Écosse. Celui qui a accompagné son ami, le premier ministre René Lévesque en Californie, accompagné de ses musiciens (et trop tard de leurs instruments) afin de promouvoir le Québec. Celui qui selon Labeaume « nous a quitté avec toujours en toi cette immense soif de liberté politique pour les Québécois…Ta vie durant, tu l’as appelé de tous tes voeux le pays, celui du Québec. Tu n’as jamais accepté qu’on se dise Non. On va s’en souvenir. »
J’en dirais même plus, en écoutant d’un oreille sobre qui s’est distancée de deux semaines de l’événement: on ne va pas se permettre de l’oublier. Labeaume, St-Pierre, Plamondon, Legault, tous l’affirment, et je soupçonne que les hommes bien habillés qui se lèvent les premiers parmi les rangées d’en avant au parterre pour donner ovation à ces mots souverainistes, sont également impliqués dans la politique. En contrepoint, le ministre fédéral de l’Identité et de la Culture canadiennes, Steven Guilbeault déclare en ondes avant l’événement que « l’impact de Fiori et de son art, c’est un impact qui dépasse beaucoup nos frontières, même ici même, pas juste le Québec, le Canada, l’Amérique du Nord, mais même en Europe également. »
Cet Acadien de la Nouvelle-Écosse peut facilement l’avouer aussi: « la musique de Fiori est venue me chercher longtemps avant que j’étais conscient d’un Québec province, bien moins d’un Québec pays. » Est-ce traître de ma part si j’ose dire que Fiori est universel, au point que même les anglophones pouvaient tripper sur sa musique qui tournait à CHOM autant qu’en Californie?
Mais ce sont plus que les hommes de politique: même les musiciens ajoutent leur voix à la cause nationaliste. Richard Séguin souligne le sens pro-souverainiste de la phrase « ensemble dans un lieu d’espoir » à la pièce Ça fait du bien. Marie-Pierre Arthur chante un seul verset, soit le plus pro-Québec de Comme un sage et prend une pause (intentionnelle?) à sa quatrième phrase, ne revenant qu’avec les mots modifiés: « Pour toi, mon pays. » Un extrait d’entrevue avec Fiori diffusé avant l’hommage national permet l’artiste même d’identifier le symbolisme d’automne, la crise d’octobre, les élections provinciales du mois de novembre 1976, le tout semblablement impregné dans le texte de la pièce Depuis l’automne.
Monique Giroux expose le sens plus caché du refrain final au fameux Un musicien parmi tant d’autres, ce même refrain qu’on a chanté à maintes reprises lors du grand spectacle de la fête nationale, à Montréal, en honneur de Fiori qui était décédé ce jour-là. Mais maintenant je comprends aussi pour un pays pour lequel on n’a pas encore abandonné espoir qu’il soit un jour libre et souverain.
Comme pour ancrer ce lien en esprit, Guylaine Tanguay reprend son rôle d’animatrice qu’on lui avait confié pour le grand spectacle. Ici en côtoyant Luc Picard qui s’est affiché en pleines couleurs vers le début de l’hommage national. Mes oreilles sobres captent mieux leurs propos…
D’abord, en premier Luc: « Serge est né à une époque où tous les espoirs sont permis, mais il meurt en un moment où l’espoir, comme lui, est devenu un animal fragile. » Ensuite Guylaine: « La vie et l’œuvre de Serge Fiori sont l’incarnation même du miracle de la beauté…celle qui donne un sens à nos vies, la beauté fragile et à fois puissante, éphémère et éternelle comme une chanson. C’est la beauté de cet être si merveilleux qui nous rassemble aujourd’hui. » Luc, une fois de plus: « Aujourd’hui on a offert des funérailles nationales à un homme qui avec sa tête, avec son cœur, avec son esprit, avec ses mains de musicien, à façonné une partie de ce qu’on est… C’est dire toute la puissance de la beauté, la souveraineté de la beauté quand elle se tient debout devant le désordre. » (Soudainement on entend des applaudissements et des sifflements.)
Guylaine conclut: « Avec toi, Serge, beau fou sublime, faisons le rêve qu’on puisse élever, seul ensemble, vers la sagesse. »
Si on s’en est pas aperçu des propos, le rappeur Biz prend sous peu la parole et s’adresse aux trois auditoires (c’est-à-dire, celui du musicien-ami, celui du gourou et celui du nationaliste), dans un propos amical mais presque conflictuel qui met le tout droit en avant des yeux et des tympans, ponctué d’applaudissements enthousiastes à plusieurs reprises: « Souverain dans son royaume du Saguenay/Lac Saint-Jean, Serge était un remarquable Québécois. Alors que certains pourraient être tentés de pervertir sa mémoire, c’est bon de rappeler que les convictions de ce fils d’immigrant italien concernant l’indépendance du Québec et de la langue française étaient non negociables. (Applaudissements fous et sifflements et on voit plusieurs donner ovation dans les rangées d’en avant). Le gars a quand même refusé un million de dollars pour faire traduire l’Heptade en anglais. Respect. (Applaudissements.) À la fois poétique et politique, la parole du shaman avait le don de résonner dans l’intime et de faire vibrer le collectif. »
« Le 24 juin dernier, notre grand sage est monté dans les nuages. Y’a pas de hasard: légendaire jusqu’au bout. Serge était viscéralement amoureux du Québec mais surtout de ses habitants, les plus récents comme les plus anciens. » C’est aux mots de Biz qu’on entend un écho de ce qu’a plus tôt prononcé l’humoriste, comédien et animateur télé/radio Normand Brathwaite: « Pourquoi quand on fait une très belle chanson au Québec en français, pourquoi quand on arrive au refrain on dit, ‘j’va l’faire en anglais, ça va pogner çâ… Serge n’a jamais chanté en anglais, il aurait pu, il aurait fait des millions de dollars… pis y l’a pas fait, alors je pense que (applaudissements chaleureux) j’dis pas que c’est pas correct, on peut faire c’qu’on veut dans la vie, mais quand on pense géographiquement où s’qu’on est et pis qu’on s’dit ’je devrais mettre peut-être le refrain en anglais,’ on devrait peut-être avoir une p’tite pensée pour Serge qui a eu plus de courage que bien du monde au Québec. »
En effet, c’est pas mal ça que j’ai ressenti moi aussi, cet après-midi-là dans la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. On est sorti sur la rue Sainte-Catherine afin de voir le même chanteur et gratteux de guitare qu’on a vu en entrant, qui divertit les gens avec des reprises de chansons d’Harmonium, tout en portant un t-shirt qui affiche le nom du groupe dans la police à la pochette de leur premier album.
À peu près pendant ce temps, Anne-Marie Dussault demande à Réal Desrosiers aux ondes de RDI, « Le mot pour vous, d’la fin, qu’est-ce que vous dites à Serge? » Réal répond: « Ben, qu’il est parti trop tôt. » Enchaîne ensuite une série d’images et de sons tirée de l’hommage national, dont le dernier semble offrir une réponse au commentaire de Réal: c’est la voix de Serge, nue et libérée des multipistes de la pièce Le corridor, qui chante: “ l’amour, c’est mourir quand il le faut…”
Peut-on s’attendre bientôt au coffret qui manque du catalogue d’Harmonium, dont celui pour Les cinq saisons? Est-ce un renouveau de la pensée spirituelle duquel naquit l’Heptade, un retour à la philosophie d’abord populaire lors des années de gloire du groupe? Ou est-ce qu’on prévoit le retour d’un nationalisme plus présent, plus puissant, qui réussit une fois pour toutes à donner la liberté tant désirée de ce pays (sentiment que, j’avoue, continue d’inquiéter ce néo-écossais qui ne veut pas se voir séparer autant du Québec que du reste du pays)?
Ou peut-être les trois? C’est quoi, après tout, la ou les traite(s) que s’est payé le premier ministre Legault en nous offrant cet hommage national à la fois politique, musical, spirituel, symbolique, mais surtout amoureux? J’aimerais monter comme un sage dans les nuages afin de savoir…
Fabriqué au Québec
Basé à Montréal, capitale mondiale du rock francophone
Photo de bannière: Graham Hughes/La Presse Canadienne
INFOGRAPHE: MURIEL MASSÉ
WEBMESTRE: MARCO GIGUERE
RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE
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