Dossiers

Leonard Cohen 1977 1980

Leonard Cohen 1977 à 1980 sous l’œil de Joni Mitchell
Publié le 1er novembre 2020
Vues 2,100 
Republié le 20 octobre 2022

Un texte de Louis Bonneville

Le cheminement sonore de Leonard Cohen de 1977 à 1980, sous l’œil de Joni Mitchell

Janvier 1977. Cohen commence l’enregistrement de son cinquième album, Death of a LadiesMan. La réalisation de ce projet est confiée au légendaire Phil Spector. Mais le créateur du Wall of Sound est depuis plusieurs années hanté par des démons : mégalomanie, démence, alcoolisme, excès de violence incontrôlable, psychoses et, surtout, une forme de délire paranoïde qui se traduit par une vénération fétichiste des armes à feu… C’est du moins ce que précise Sylvie Simmons dans sa bio intitulée I’m Your Man : la vie de Leonard Cohen.

Les sessions d’enregistrement débutent au Gold Star Studios d’Hollywood. Pas moins d’une quarantaine de musiciens, dont plusieurs du Wrecking Crue, sont réunis lors de la première nuit d’enregistrement. Cette ambiance de travail s’avère inattendue et complètement suffocante pour Cohen. Pire, il se sent dès lors sous l’emprise de Spector. Cet insoutenable climat atteint son paroxysme lors d’une des sessions de nuit. À quatre heures du matin, Phil décide abruptement de quitter la régie pour rejoindre le module vocal où Cohen est sagement positionné face à son micro.

Le réalisateur, une bouteille à la main et un fusil de l’autre, enlace le poète d’un bras et pointe son revolver dans la partie creuse de sa clavicule. Puis il lui murmure à l’oreille une formulation se voulant fraternelle : « Leonard je t’aime ». Et Cohen répond sur le même ton : « J’espère bien Phil ! »… Finalement, en 2003, Spector se rendit jusqu’au bout de cette folle lubie meurtrière en tirant à bout portant sur sa compagne du moment. Il fut condamné à dix-neuf ans de prison…

Death of a Ladies’ Man voit le jour en novembre 1977. En secret, Spector a mixé l’album et le résultat dénature complètement le style sonore plutôt épuré de Cohen. Le poète est si déçu du résultat qu’il abandonne même l’idée de partir en tournée pour promouvoir le disque… Pourtant, tout le processus désastreux de ce projet aurait pu être évité si Cohen avait bien voulu considérer la mise en garde émise par sa bonne amie, Joni Mitchell. Elle lui avait en effet précisé qu’elle doutait fortement que cette collaboration put être bénéfique pour lui, se référant à l’instabilité du réalisateur qu’elle avait elle-même constatée lors de certaines sessions d’enregistrement de John Lennon à Los Angeles en 1973…

En fait, la complicité entre Joni et Léonard était déjà ancienne, s’étant amorcée en 1967 lors de l’important Newport Folk Festival, plus précisément lors du workshop du dimanche après-midi 16 juillet. Dès lors, une intense romance s’engagea et les deux créateurs s’élevèrent intellectuellement. Ils devinrent en quelque sorte des âmes sœurs artistiques. Si la relation amoureuse fut éphémère, l’amitié prit solidement le relais…

Novembre 1978. Cohen est de retour à Montréal. Dans un studio d’enregistrement, il travaille seul à l’élaboration de quelques maquettes de nouvelles chansons… Toutefois, son passage dans cette ville est bref. Il retourne en Californie, achète une maison dans un quartier modeste de Los Angeles et s’y installe. À l’hiver 1979, il se met sérieusement à la conception de son prochain album, provisoirement nommé The Smokey Life. Il voudrait le coréaliser avec John Lissauer (New Skin for the Old Ceremony), mais ce dernier est sur la côte Est, occupé à d’autres projets. Cohen envisage par conséquent de le réaliser lui-même… Toutefois, Joni Mitchell lui suggère de travailler avec son indispensable collaborateur, Henry Lewy. Il va sans dire que, désormais, Cohen tient compte des propositions de Mitchell avec le plus grand sérieux…

C’est en 1969 que Joni fit la connaissance d’Henry Lewy, et ce, par l’entremise de David Crosby et Stephen Stills qui travaillaient à ce moment à un demo concocté par Lewy. Joni, conquise par le professionnalisme d’Henry, l’engagea en tant qu’ingénieur du son pour son deuxième album : Clouds. Le label Reprise Records désigna Paul A. Rothchild réalisateur de l’album. Les sessions d’enregistrement se tinrent au A&M Studios à Hollywood. Tout comme cela avait été le cas entre Cohen et Spector, la synergie entre Rothchild et Mitchell s’envenima rapidement. L’ambiance de travail imposée par le réalisateur était austère et autoritaire, ainsi que l’explique Joni Mitchell dans une longue entrevue à la CBC en 2013.

Vers la fin d’une des sessions, Rothchild se leva abruptement, regarda sa montre et s’exclama : « Je dois partir pour aller faire un album avec le groupe The Doors, je serai de retour dans deux semaines. » Joni se retrouva seul avec Henry, et elle lui demanda : « Est-ce que tu crois qu’on peut terminer l’album avant son retour ? Car cet homme est en train de réussir à me faire haïr la musique ! » C’est de cette façon que Joni commença son étroite association artistique avec cet homme doté d’une énergie positive et réceptive. Dès lors, il devint le canalisateur du travail de Mitchell…

Suivant les bons conseils de Mitchell, Cohen rencontre Lewy. Immédiatement, il apprécie l’individu à l’aura sereine. Ils conviennent d’entamer le processus de réalisation de l’album. En avril 1979, les sessions d’enregistrement débutent au A&M Studios. Par ailleurs, Lewy réalise simultanément dans ces mêmes studios l’album Mingus de Mitchell : le plus audacieux projet de toute la carrière de la Canadienne. D’ailleurs, elle se rend fréquemment sur les lieux pour observer et écouter les sessions du poète… Lewy propose une ambiance de travail calme et posée, ce qui laisse une importante liberté créative à Cohen…

Un des premiers musiciens qu’on engage est le bassiste Roscoe Beck, membre d’un groupe d’Austin encore méconnu : Passenger. Ce band de jazz fusion de cinq musiciens (saxophone, guitare, claviers, basse et batterie) se trouve en effet à Los Angeles en attente de partir en tournée avec Mitchell. Toutefois, ce projet sera laissé en plan… Cohen, impressionné par la contribution musicale de ce bassiste, décide d’inviter tout le groupe aux enregistrements. Autour d’eux, se greffent le violoniste Raffi Hakopian, d’influence tzigane et classique, le joueur d’oud arménien et de mandoline John Bilezikjian et la chanteuse Jennifer Warnes : ces musiciens sont le noyau fort musical parmi les nombreux à participer à l’album.

Cohen, avec son jeu délicat à la guitare classique et sa voix énigmatique, évolue maintenant dans un environnement musical d’un fascinant métissage de styles folkloriques, alliant les sonorités de l’Europe de l’Est, du Moyen-Orient et même du Mexique. On pourrait catégoriser ce rare amalgame comme étant un folk jazz moderne world beat, qui traduit à merveille l’univers poétique et musical de Cohen. Sur la pièce « The Smokey Life », Cohen chante avec Warnes, sa complice sur scène depuis 1971. Et pourtant, elle en est qu’à sa première collaboration en studio avec le Montréalais.

Leur saisissant duo (façon jazz de cabaret enfumé) est agrémenté d’une musique aux intenses accents sonores produits par la profonde basse et le cristallin piano électrique Rhodes. Cela expose magnifiquement les fondements de la chanson. Quant à son texte, il relate en imagerie philosophique les désarrois vécus par une rupture amoureuse. « The Gypsy’s Wife », autre chanson phare de l’album, évoque également des thèmes homologues. C’est justement ce type de déchirement amoureux que Cohen vient de vivre avec le départ de sa conjointe – la mère de leurs deux enfants…

L’album paraît en septembre 1979 et il est excellent. Les critiques réagissent positivement, il y en a même certains qui le qualifient de chef-d’œuvre. Mais encore : le principal intéressé, à l’aube du vingt et unième siècle, déclara qu’il était son préféré en carrière. Pourtant – et curieusement – dès sa sortie, l’album fut boudé du grand public. Néanmoins, on met en place un spectacle magistral en prévision d’une tournée avec le même noyau fort de musiciens que celui de l’album. Dès novembre, l’importante première phase de The Smokey Life Tour débute en Europe et cinquante spectacles sont présentés jusqu’à la fin de décembre.

Heureusement, Henry Lewy immortalise sur ruban quelques concerts, dont les trois consécutifs présentés en décembre au célébrissime Hammersmith Odeon de Londres. Encore une fois, Lewy fit un travail exceptionnel avec une prise de son d’une pureté renversante. Du reste, il fallut plus de vingt ans avant qu’un album soit concocté à partir de ces bandes. Field Commander Cohen : Tour of 1979 fut dévoilé en 2001, sublime témoin de cette tournée. Il devint un incontournable de la discographie de Cohen…

Si Cohen fut grandement enchanté par son album Recent Songs, il en fut autant pour sa tournée de spectacles qu’il qualifia à rebours, comme étant la meilleure de sa carrière…

Leonard Cohen en spectacle au Hammersmith Odeon en 1979, Londres.  Photo : Terry Lott

Fabriqué au Québec!
Basé à Montréal, capitale mondiale du rock francophone!

BANNIÈRE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
RÉDAC’CHEF : MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE

Si vous songiez à appuyer notre site, c’est maintenant, c’est ici. Chaque contribution, qu’elle soit grande ou petite, aide à notre survie et appuie notre avenir. Appuyez Famille Rock pour aussi peu que 5 ou 10 $ – cela ne prend qu’une minute. Merci  ! Visitez notre boutique.

Click to comment

You must be logged in to post a comment Login

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Compteur

  • 570 685 Visites

Suivez-nous

To Top

Fabriqué au Québec!

Pour Un Monde Meilleur!

Basé à Montréal, capitale mondiale du rock francophone!

Honorons Nos Survivants Pleurons Nos disparus