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Nirvana Nevermind

Le top 100 de Ricardo # 3 
Nirvana, Nevermind 
Publié le 4 février 2023

Par Ricardo Langlois

Nevermind, Nirvana (1991)

Le jour de sa mort, le 5 avril 1994, j’étais à l’université. Une journée de printemps où le soleil brillait intensément. Je n’aurais jamais imaginé que Kurt Cobain allait s’enlever la vie pour aller rejoindre le Club des 27. La vie est fragile. C’était un ange qui cherchait la lumière. Sa vie a été un dur combat. Piégé par la solitude et une enfance malheureuse, un enfant laissé à lui-même. On pense qu’il est TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyper activité) et on pense aussi qu’il est peut être gay à cause de son amitié avec un camarade homosexuel.

L’anti-star

J’écris pour apprendre à vivre. Depuis ton départ, tu n’as jamais été aussi adulé. À la radio, tu joues constamment. Bien sûr, on te détestait. Tu n’arrivais pas à te conformer. Tu es toujours dans ta cage. Les gens sont de mauvaise foi. Les intellectuels se sentent obligés de rebrousser chemin. La haine qu’il y a eu autour de toi depuis ton adolescence devient un mur malgré toi. Ton meilleur ami gai qui se fait battre. Tes parents qui se séparent. Et cette attente obsessionnelle d’espérance viendra, malgré les lois, le conformisme, le mainstream radio. Tu t’auto-mutiles tous les jours. Tu mets des robes. Tu es quelqu’un de différent, toujours au bord du gouffre. La musique, c’est ton monde. Tu seras le maestro pour la nouvelle génération. Tu es mort et tout le mouvement grunge s’est écroulé.

Come as you are

Cobain joue sur son registre vocal et livre ses rares paroles d’un ton un peu plaintif et implorant. Kurt prétend avoir écrit ces paroles après s’ëtre imbibé de sirop contre la toux à la codéine. La guerre ayant pour effet de ramollir les neurones, de transformer ses adeptes en légumes. À Seattle, l’héroine qui circule est noire, ressemblant à du goudron ou à de la boue. Et puis, il y a cette phrase : Je jure que je n’ai pas de flingue répétée en boucle par Kurt a donné lieu a pas mal de spéculations macabres après sa mort. En anglais, gun signifie aussi bien flingue que seringue.

Un détail important : il a toujours écrit ses chansons à la première personne, même quand il s’inspirait de sujets extérieurs à sa vie. Il ne sera pas, après tout, le premier rockeur à flirter avec l’image de la dope dans un morceau… Le clip est une œuvre d’art pour moi. Kurt, le visage à demi-noyé derrière des spermatozoïdes en surimpression. Il passe le reste du clip suspendu à un énorme lustre.

Something in the way

4 accords de guitare, une batterie discrète. 8 lignes de paroles sans queue ni tête, un violon et la voix de Kurt. Petite voix d’ange abandonné à lui-même depuis son enfance. Cet homme, je l’aime. Sa particularité ? Il traverse la vie comme un feu de forêt. Je déchiffre. Je comprends ton émotion. Cette pièce magnifique s’approche de la Grande Nuit juste avant In Utero. Lithium (les paroles) :
Je suis heureux car aujourd’hui j’ai trouvé mes amis
Ils sont dans ma tête
Je suis si moche, mais c’est pas grave
Car toi aussi
Nous avons cassé nos miroirs

S’il vous plait, lisez ceci :
Dimanche matin ressemble aux autres jours
Pour ce que j’en ai à faire. Et je n’ai pas peur.
Hébété, j’allume des cierges car j’ai trouvé Dieu (1)

Smells like teen spirit (pour la génération X)

Quatre mots, quatre sont à l’origine de l’emballement populaire sans précédent qui a secoué le monde du rock à compter de septembre 1991 : Smells Like Teen Spirit. On peut d’ailleurs savourer toute l’ironie impromptue d’un slogan générationnel qui se trouve rabaissé au rang de simple produit de basse consommation, le Teen Spirit étant la marque de déodorisant de la copine de Cobain, Tobi Vail. Car c’est bien d’un slogan générationnel que l’on parle, même si, entre vous et moi, personne n’est vraiment capable de comprendre le sens de cette chanson.

D’ailleurs Cobain n’en a jamais délivré la teneur exacte, et sa diction sur ce titre est si calamiteuse qu’on n’y comprend quasiment rien hormis quelques bribes rageuses perçues à l’arrache With the lights out, Entertain us, I feel stupid /and contagious, ainsi que deux expressions emblématiques de l’apathie cobainienne : I’m worst at what I do best et surtout  found it hard / It’s hard to find /Oh well whatever /Nevermind. Par ces quelques braillements scandés avec détachement, Kurt Cobain vient involontairement de stigmatiser toute une génération de jeunes adultes mal dans leur peau, incapables de trouver leur place dans la société mais surtout complètement étrangers à leur vie et sans aucune aspiration transcendantale, que ce soit sur le plan matériel ou spirituel : la fameuse génération X.

Mais au delà de son contenu, au delà même de ses qualités structurelles peu communes (alternance de couplets retenus par une ligne de basse indolente et de refrains braillés avec tous les potards au max sur un riff à quatre temps constamment instable), c’est aussi son clip qui contribue à en forger la popularité, clip qui voit le trio se produire dans un gymnase enfumé devant une foule proprement survoltée. Surtout, la vidéo nous envoie en plein dans notre face la personnalité fascinante de Kurt Cobain, avec sa gueule d’ange  cachée derrière sa tignasse blonde, le regard aimantant la caméra en un mélange de pudeur complexée et de douleur expulsée avec dégoût. Et puis il y a les autres, Novoselic qui se balance comme une grande gigue junkie, Grohl qui cogne sur sa batterie comme un gros malade, le vieux laveur de sol qui entre en transe, et puis ces pom pom girls débiles qui réalisent une chorégraphie complètement décalée.

Fatalement, ce qui devait arriver finit par se produire : entre la subite fascination suscitée par l’approche visuelle du trio et les critiques élogieuses qui pleuvent de tous les magazines spécialisés, la machinerie populaire s’emballe et s’approprie littéralement l’album et sa figure tutélaire, Kurt Cobain, propulsant en trois mois à peine Nirvana au firmament du Billboard à raison de 300.000 copies de Nevermind écoulées chaque semaine. (2)

Liberté dans l’art

Il croit en l’art comme une forme de rédemption. L’art est expression, pour s’exprimer, il faut disposer d’une liberté intégrale. (3). Plus loin, il dira que les esclaves ont grandi dans un monde à part sans se poser des questions, de génération en génération. Tout à fait d’accord avec lui, nos parents et nos grand-parents se sont sacrifiés pour les boomers et les jeunes d’aujourd’hui. Ils n’ont pas eu accès à la culture.

Il ne ménage personne. Ses propos sont incendiaires. Procréer et manger et attendre et larmoyer et prier… En septembre 2020, l’album est classé en 6e position du top 500 du magazine Rolling Stone devant Bob Dylan et Revolver des Beatles. J’ai acheté le vinyle le 8 janvier dernier autour de 40$.

1991

Chansons et durée
1. Smells Like Teen Spirit Cobain, Grohl et Novoselic 5:01
2. In Bloom 4:14
3. Come as You Are 3:39
4. Breed 3:03
5. Lithium 4:17
6. Polly 2:57
7. Territorial Pissings introduction tirée de Get Together de Chet Powers 2:23
8. Drain You 3:43
9. Lounge Act 2:36
10. Stay Away 3:32
11. On a Plain 3:16
12. Something in the Way 3:51

Notes
(1) Lithium. Les paroles sont touchantes. Un grand poème selon moi. Traduction p. 170 Kurt Cobain Journal Collection 10-18
(2) Texte inspiré d’un site de France.
(3) Kurt Cobain Journal p. 142.

Ricardo Langlois est critique musical pour famillerock.com et critique littéraire pour lametropole.com. Il a écrit 5 livres de poésie.

 

BANNIÈRE : DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE : MARCO GIGUÈRE
RÉDAC’CHEF : MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR : GÉO GIGUÈRE

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