Chroniques

Genesis Histoire de Foxtrot

We Know That We Like Genesis #16
Une série sur toutes les époques de ce groupe mythique
Publié le 6 février 2021
Vues 1,800 
Republié le 17 octobre 2022

 

Par André Thivierge

Ça passe ou ça casse

Après une tournée triomphale en Belgique et en Italie au printemps de 1972 suite au succès très localisé dans ces pays de leur troisième album, Nursery Cryme et amélioré leur prestation scénique, il était temps pour les membres de Genesis, Mike Rutherford, Tony Banks, Peter Gabriel, Phil Collins et Steve Hackett de préparer le suivant.

Ils savaient qu’ils étaient sur la corde raide et que malgré ces quelques succès locaux, ils devaient connaître du succès chez eux, au risque de se retrouver sans contrat de disque.

De retour en répétitions

Les sessions d’écriture et d’enregistrement pour le prochain album furent retardées par le mariage de Tony le 27 juillet et plus tard par une brève deuxième tournée de concerts en Italie.

Quelques chansons étaient complètes telles Can-Utility and The Coastliners, Watcher of The Skies et Get‘ Em Out By Friday. Les deux premières ayant été testées sur la route.  Les trois chansons ont été arrangées et réarrangées avant l’enregistrement.

En août 1972, Genesis s’est rendu dans un sous-sol d’une école de danse à Londres pour écrire la majorité du matériel du prochain album, Foxtrot.  Ils ont développé des pièces tout en entendant le bruit des souliers de danse au-dessus de leur tête.

Steve Hackett nous raconte en entrevue exclusive les circonstances de la préparation de Foxtrot

Famille Rock (FR) : Steve, j’ai été surpris d’apprendre que vous vouliez quitter le groupe au début des répétitions.

 Steve Hackett (SH) : « Effectivement, j’étais très fatigué et je me suis dit au premier jour que je n’étais pas capable. Ces types étaient trop bons. Je sentais que je ne contribuais pas assez à la musique, sauf pour Horizons. Quand je leur ai dit que je ne me sentais pas à ma place, ils ont répondu qu’au contraire, ils aimaient beaucoup ma façon de jouer et ma contribution. J’étais moins enclin à improviser dans les jams de Mike, Tony et Phil. Je me sentais isolé, comme souvent l’était Peter.

Cela peut sembler étrange mais je n’avais pas compris à ce moment parce que les membres du groupe ne se faisaient pas beaucoup de compliments entre eux. Je me sentais très insécure et je pensais que c’était peut-être mieux que je quitte avant de me faire montrer la porte. Quand j’ai réalisé qu’ils aimaient ce que je fais et voulaient que je reste, ce fut une épiphanie pour moi. Je sais que Phil considérait quitter lui aussi (mais je ne suis pas sûr s’il l’admettrait aujourd’hui). Je crois que le groupe Lindisfarne voulait qu’il se joigne à eux pour un moment et il y pensait. »

Suite à cette mise au point, Tony était ouvert à revoir son partenariat avec Steve. Comme il le mentionnait en entrevue dans le magazine Electronics and Music Maker en 1983, « Steve et moi jouions des jeux, un inventant un nouveau son et l’autre tentant de l’imiter. En combinant les deux, on obtient un nouveau son et on composait à partir de là. »

Un studio célèbre 

En septembre 1972, les membres du groupe se sont rendus aux studios Island, une église de Nothing Hill à Londres convertie en studio où y ont été enregistrés Led Zeppelin IV et Aqualung de Jethro Tull deux ans auparavant.

Des débuts difficiles

Même si les crédits indiquaient que l’album était produit par David Hitchcock et Genesis avec une prise de son de John Burns, ce fut un peu plus compliqué que cela. Après le départ de John Anthony, celui qui avait produit les deux albums précédents, Charisma a embauché Bob Potter pour produire l’album.

Tony se souvient que « Charisma voulait que nous ayons une chanson à succès. C’est pourquoi, ils ont embauché Potter qui avait travaillé avec Simon and Garfunkel et Bob Dylan et croyaient que cela resserrerait notre style. Ce fut désastreux. J’ai joué Watchers of The Skies et il a dit que c’était mauvais. C’était mal parti. » Les membres du groupe se sont rendus rapidement compte qu’il n’aimait pas la musique de Genesis et croyait que Watcher of The Skies ne fonctionnerait pas avec l’intro de Mellotron (qui en est devenue la marque de commerce).  Potter n’est resté qu’une semaine.

FR : Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné avec Bob Potter ?

SH : « Pour je ne sais pas quelle raison, j’étais le seul qui s’entendait bien avec lui. Il n’aimait pas vraiment la musique du groupe. Il y a eu une journée où nous étions en train d’enregistrer quelque chose et il sentait que cela prenait trop de temps. Mike a décidé qu’il voulait changer les cordes de sa guitare basse ou sa 12-cordes. Et Potter m’a dit qu’il n’en pouvait plus.

Il m’a demandé s’il y avait quelque chose que je voulais faire. J’ai répondu que j’avais cette pièce de guitare non accompagnée que je voulais faire. La pièce en question était Horizons. Ça a dû me prendre autour de quatre prises pour l’enregistrer. Je crois qu’il a fait un bon travail de production là-dessus. »

FR : Horizons est votre seule pièce solo à apparaître sur un album de Genesis, comment avez-vous réussi à convaincre les membres du groupe ?

SH : « Je n’étais pas sûr si les autres membres de Genesis aimeraient Horizons. J’ai joué la pièce à la guitare électrique même si je l’avais écrite pour une guitare acoustique. J’étais nerveux pensant qu’ils n’aimeront pas et rejetteront celle-ci. Et soudain, il y a Phil qui dit que ça sonne comme si nous devons applaudir à la fin et ils se sont mis à le faire. On m’a donc permis à ma grande surprise de jouer la pièce sur l’album, même si elle était très courte et introspective. »

Après Potter, l’ingénieur Tony Platt des Studios Island a pris la commande. Cela ne s’est pas mieux passé. Il est parti rapidement, remplacé par le producteur Dave Hitchcock. Hitchcock avait une certaine expérience de la nouvelle vague de groupes progressifs, ayant produit l’album qui est devenu un classique du genre, In The Land of Grey and Pink de Caravan qui contient une suite, Nine Feet Underground qui prend un côté de l’album, comme le fera Supper’s Ready. C’est lui qui confiera le travail sur le terrain à John Burns avec qui la chimie s’opérera avec les membres de Genesis.

John Burns durant l’enregistrement de Foxtrot

FR : Comment ça s’est passé avec John Burns ?

SH : « Nous étions en train d’enregistrer les guitares pour la trame de fond du début de Supper’s Ready, toutes des 12 cordes jouées par Mike, Tony et moi. Comme nous avions été échaudés par les deux producteurs précédents, quand nous avions joué le tout à John Burns, nous n’étions pas du tout sûr si c’était bon. Il a bien aimé. Il était très positif et c’était ce que le groupe avait besoin. En fait, même si Dave était le producteur, c’était John qui a pris les choses en main. On l’a tellement aimé qu’il a produit aussi les deux albums qui ont suivi. »

Burns en entrevue a expliqué que « je suis immédiatement tombé en amour avec le groupe. Nous étions sur la même longueur d’onde. Ils étaient un peu chaotiques car ils écrivaient des pièces musicales incroyablement compliquées. C’était un défi mais pas impossible de mettre le tout sur disque, compte tenu que la compagnie de disque ne nous a donné que deux semaines et demie pour enregistrer l’album. Il y avait tellement de bouts de chansons et de sections qu’il fallait faire beaucoup d’édition pour mettre le tout ensemble. Les pièces pouvaient être jouées en spectacle mais pas en studio d’un seul coup car il y avait trop de changements d’instruments. »

FR : Et votre frère John vous a rendu visite en studio.

SH : « Oui, il a eu la chance d’assister aux répétitions et pensait qu’on était fantastiques. Il m’a dit que ce qu’il avait entendu était absolument brillant, il était impressionné de nos talents d’écriture et considérait que nous jouions merveilleusement bien. Et les voix étaient impeccables selon lui. On avait tout pour réussir. »

Steve et John Hackett

Watcher of The Skies 

Un des faits saillants de l’album était bien sûr la pièce Watcher of The Skies, un favori des spectacles de Genesis. La mélodie de Watcher a changé considérablement entre les premières interprétations en concert et l’enregistrement.

La pièce a été choisie comme un simple potentiel de Foxtrot et une version abrégée a été enregistrée, sans Mellotron. Cette version ne sera jamais lancée compte tenu que les membres du groupe croyaient que la version abrégée ne rendait pas justice à la chanson. Celle-ci demeurera inédite jusqu’à la sortie d’une compilation publié par Fontana en 1975 appelée Reflection – Rock Theater, puis plus tard sur le cdu premier coffret d’archives du groupe en 1998.

Supper’s Ready, le chef d’œuvre de Genesis ?

On ne peut dissocier Foxtrot de Supper’s Ready, la première et seule suite du groupe (d’autres suites ont été planifiées pour les albums Duke et Abacab qui ont été abandonnées subséquemment).  Supper’s Ready dure 23 minutes, prend presque toute la face B de l’album et représente l’effort d’écriture la plus vaste, variée et pertinente par rapport à ce qui se faisait à cette époque avec ses sept sections, merveilleusement liées ensembles avec une finale qui rappelle des parties précédentes de la suite allant du pastoral au symphonique et du grotesque au dramatique. Plusieurs considèrent Supper’s Ready comme le point culminant du groupe. Les paroles de Supper’s Ready provenaient à la base de Peter qui a aussi écrit la musique pour la section Willow Farm qui au départ était une chanson complètement séparée.

À partir de cette chanson s’est greffée les autres sections individuelles de la chanson dont une pièce écrite à l’université par Tony qui a été bonifiée par la suite devenant The Guaranteed Eternal Sanctuary Man.

Le groupe de Peter ?

Les trames narratives puissantes et l’imagerie descriptive de l’album tendait à donner l’impression que Genesis était un groupe basé sur une personne, Peter.  Une situation qui sera encore plus flagrante plus tard.  La réalité était bien sûr différente alors que tous les membres du groupe contribuaient suffisamment pour être fier de leur participation à Foxtrot.

Ou plutôt celui de Tony ?

À un certain degré, Tony était le guide musical, alors que sa participation avec une gamme primitive de claviers était assez significative.

Tony indique en entrevue que « pendant les années 70, mes goûts contrôlaient le groupe plus que les autres, peut-être parce que mon attitude était déplaisante quand les autres n’étaient pas d’accord avec moi. »

On constate aussi qu’en tandem avec Tony, Mike prenait de plus en plus de place, contribuant aux paroles et musiques de plusieurs chansons. À cela s’ajoutait Phil qui improvisait beaucoup avec eux afin de développer du nouveau matériel.

La fameuse section instrumentale Apocalypse in 9/8 de Supper’s Ready est le fruit de ce travail.  Les trois développeront progressivement une chimie qui culminera beaucoup plus tard comme on le sait au fameux Power Trio des années 80 qui brisera toutes les barrières commerciales au déplaisir des fans des premiers jours et au bonheur de leur futur public.

Du matériel non utilisé sur l’album

Durant les sessions de Foxtrot, Genesis a finalement enregistré Twilight Alehouse, qui avait été écrite durant la période menée par Anthony Phillips. Cependant, la pièce n’a pas fait partie de l’album. Elle a d’abord été lancée en format flexi-disque à la fin de 1973 en supplément du magazine Zig Zag et distribué aux membres de leur fan club. Elle sera lancée finalement largement au début de 1974 en face B du simple, I Know What I Like.

Avec 5 compositeurs contribuant activement au matériel de l’album, il est inévitable que plus de musique que nécessaire ait été composée.  Ainsi, une section instrumentale écrite par Mike qui n’a pas fait l’album sera éventuellement incorporée dans la pièce Shadow of the Hierophant, incluse dans le premier album solo de Steve en 1975.

Une pochette qui n’a pas fait l’unanimité

Comme pour les deux albums précédents, l’illustrateur Paul Whitehead a travaillé de très près avec Genesis pour développer le concept de la pochette de Foxtrot. Les dessins étaient largement inspirés de Supper’s Ready.

En entrevue, il se souvient que « la chanson était à propos de l’apocalypse. C’est pourquoi, je voulais y mettre les 4 chevaliers de l’apocalypse. Et de là, comme le thème de Nursery Cryme était le croquet, je croyais logiquement que pour le prochain album, le thème serait la chasse au renard, un autre sport de la classe supérieure anglaise. C’était un peu satirique. »

L’image de la femme avec la tête de renard était inspirée du langage populaire des américains qui nommait à l’époque une femme attirante, un renard (fox) comme l’avait fait Jimmy Hendrix avec la chanson Foxy Lady.  D’ailleurs, cette illustration inspirera peu de temps avant la sortie de l’album Peter pour un costume de scène à venir.

La pochette de l’album, une des plus aimées par les fans de Genesis est bizarrement la plus détestée par les membres du groupe.

Mike croit que « la pochette est un peu faible. Je n’ai jamais été convaincu à propos de celle-ci et ce fut la dernière fois que l’on a fait appel à Paul Whitehead. Je crois que la belle atmosphère de Trespass et Nursery Cryme était liée à ses illustrations qui étaient comme des peintures et qui avaient une belle texture.  Foxtrot était ok mais il a juste mis ensemble un paquet d’images qui étaient dans les paroles. »

Peter indique que « j’étais moins heureux de cette pochette par rapport aux deux premières. Nous étions maintenant habitués de travailler avec Paul mais son style perdait de l’intérêt et c’était moins attirant pour moi.  Il y avait des choses toutefois qui marchaient comme le personnage du renard. »

Phil était clair que « pour moi, le concept était un peu trop touffu et je crois que c’est la raison pourquoi ce fut la dernière fois que nous avons travaillé avec Paul. Le tout n’avait pas l’air très professionnel et l’ensemble a bien mal vieilli.  Le tout résume l’album et la période. Je croyais que c’était ok mais pas particulièrement spécial.

Tony indique « que je pensais que c’était la pochette la plus faible que Paul a fait pour nous. La moquerie de la chasse était son idée et ce n’était relié à rien sur l’album. C’est l’illustration qui nous a forcé à donner le nom de Foxtrot à l’album pour y donner un sens et rationnaliser le tout. »

 

FR : Es-tu d’accord avec tes anciens collègues qui affirment ne pas avoir aimé la pochette de Fox Trot ?

SH : « je n’étais pas certain au départ, ça ressemblait pour être honnête à un collage. Avec le temps, je pense que le concept fonctionnait. »

Ce fut le dernier album illustré par Whitehead. Il a perdu contact par la suite avec les membres du groupe suite à son déménagement aux États-Unis.

Réaction de leur gérant

Après l’écoute des rubans de l’album, leur gérant et propriétaire de la maison Charisma, Tony Stratton-Smith a affirmé « voici l’album qui marquera leur carrière! »

Avait-il raison ?  L’analyse des six chansons de l’album… À suivre!

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2 Comments

2 Comments

  1. André Thivierge

    8 février 2021 at 9:45 AM

    Merci Pierre, c’est gentil! Genesis, c’est mon bébé. Alors, je le bichonne!

  2. Pierre Langlois

    7 février 2021 at 2:03 PM

    Merci encore pour ton excellent travail. c’est toujours un plaisir de te lire

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