CHRONIQUE 433ème
Gerry Boulet est Dieu
Suite et fin de la série 430 – 431 et 432
Publié le 30 mai 2020
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Republié le 5 juin 2021
Texte de Pierre Harel
La nouvelle s’était répandue en quelques heures comme une traînée de poudre incandescente : Dieu devait apparaître au DIX sur le coup de minuit et Gerry, le chanteur principal du groupe Offenbach, aurait répété un show incroyable avec des joueurs de tam-tams vivant en ermites avec femmes et enfants, dans une caverne aux environs du fameux motel de Val d’Or.
La rumeur, sans doute amorcée au téléphone par un, ou une, employé-e du Motel, en début de ce samedi après-midi du printemps de 1973, avait galopé ventre à terre de Val D’Or à Rouyn, filant ensuite vers Ville-Marie au Témiscamingue, poussant une pointe jusqu’à Mont-Laurier dans les Laurentides, ramassant au passage bourgades, hameaux et villages, le long de la Route 117.
Cette rumeur racontait que Gerry Boulet, ou Gerry-B, chanteur principal de ce groupe fort populaire en Abitibi depuis les Gants Blancs, était devenu fou, disait qu’il était Dieu et avait annoncé qu’il serait sur la scène du Dix avec ses douze apôtres à minuit le soir même, en compagnie des autres membres du groupe, dont Pierre Harel, cinéaste et deuxième chanteur d’Offenbach, ayant récemment tourné un film très médiatisé dans une mine abandonnée à McWatters, près de Rouyn.
À la fin de ce même après-midi, à peine quatre heures plus tard, les chambres de motels et d’hôtels, disponibles aux environs de Val d’Or étaient déjà retenues et le Dix refusait du monde souhaitant réserver des billets puisque la capacité de la salle n’était que de 250 personnes, et que tout le Nord-Ouest québécois désirait assister au miracle !
Il était environ huit heures du soir et nous étions tous dans ma chambre, Johnny, Willie, Wèzo, Belzé, Carole, le Français et l’Américain, attendant nerveusement la suite des événements, n’ayant pas eu de nouvelles depuis la fin du banquet au spaghetti, alors que les apôtres et leur pasteur étaient montés dans un vieil autobus jaune rouillé vers une destination inconnue.
Soudain, la porte de la chambre s’ouvrit sur un Pop’s Lulu à la mine réjouie alors que nous avions tous la mine basse :
Pop’s :
– J’ai une bonne nouvelle !
Willi :
– Quoi ? T’as trouvé un brun ? On va pouvoir gazer pour décâlisser d’icitte pi laisser Boulet avec sa kriss de gagne de crosses-boules !
Pop’s :
– Calme-toi Willi ! J’ai parlé avec Gerry tantôt et il a très bien compris que s’il n’était pas sur scène avec nous au plus tard à 10 heures ce soir, nous aurions de gros problèmes et pas de paye. C’est complètement fou ! Y’a des gens qui arrivent de partout ! Y’en a qui sont déjà arrivés de Rouyn, de Ville-Marie, d’Amos, et des Rocks de Senneterre…
Carole :
– Bin là ! Mon père va se remplir les poches à soir ! Je vais lui demander qu’il vous fasse monter un souper gratos icitte ok ? Y’a trop de monde en bas. Pizza ou poulet ?
Johnny :
– Une cuisse avec des frites pi une Bleue…
Wèzo :
– Mouéssi…
Belzé :
– Deux pointes all dress pi 2 Bleue…
Willi :
– Une p’tite all dress pi deux Bleue…
Moi :
– Une moyenne all dress, avec toi Carole, et deux Bleue…Vous autres les groupies allez manger en bas. Tenez, v’là deux cinq piasses…
Sans rechigner, les groupies prirent chacun leur billet et sortirent de la chambre avec Carole.
Quelques instants plus tard, après avoir englouti nos repas, nous sommes descendus vers la salle de spectacle, un peu nerveux, et avec certaines appréhensions de ce qui pourrait se passer advenant que Gerry-B ne se présente pas sur scène avec nous. À cette époque, il était arrivé quelques fois que des spectateurs en délire de la frustration d’un show manqué, ou pourri, se livrent au saccage sauvage de salles d’hôtels ou de motels de la grande région de Montréal. Tous les ingrédients nécessaires étaient réunis ce soir-là pour que ça se produise à Val D’Or si Gerry-B ne se présentait pas sur scène et que l’apparition promise de Dieu, en l’occurrence, lui, ne soit qu’une promesse vide.
À 10 heures précises, nous sommes montés sur la scène alors que je m’avançais au micro pour parler avec la foule compacte et fébrile qui se mit à crier et à vociférer pour nous encourager et nous montrer leur plaisir d’être là. Je les fis taire en élevant les deux mains sur eux jusqu’à ce qu’un silence épais, presque palpable, descende sur nous tous, et je pris la parole d’une voix grave et lente :
Moi :
– Nous sommes réunis ce soir au Dix pour assister à la venue de notre Dieu, parmi nous, pauvres humains affamés de rock’n’roll, pour qu’il nous donne sa bénédiction et fasse descendre sur nos têtes ce soir, les flammes du rock purificateur qui effacera tous nos péchés pour qu’on puisse en faire d’autres…
La foule qui s’était calmée se réveilla soudainement pour manifester bruyamment son approbation dans une explosion sonore. Les gars m’ayant fait signe qu’ils étaient prêts à jouer, je poursuivis, encore plus sérieux :
Moi :
– Frères et sœurs rockeurs et rockeuses, nous allons appeler notre Dieu à entrer dans cette salle et à venir célébrer sa venue sur Terre avec nous… Oui ! Ooohh oui…je sens qu’il est là et qu’il rôde autour avec ses apôtres préhistoriques et poilus, n’attendant qu’un signal pour entrer et nous faire danser, comme des malades…
Carole, cachée en coulisse, qui attendait le signal des groupies à l’effet que le vieil autobus jaune rouillé des poilus et de leur Dieu était arrivé au stationnement derrière le Dix, me fit de grands signes frénétiques des deux bras pour m’indiquer que ça y était et que je pouvais l’annoncer. Je fis signe à Willi, Johnny et Wèzo de commencer à jouer Groovin’ tel que prévu, et je m’adressai à la foule en voice over :
Moi :
– Mes frères, mes sœurs, croyez-vous au Dieu du rock’n’roll ?
Foule :
– OUIIII
Moi :
– Voulez-vous voir le Dieu du Rock’n’Roll ?
Foule :
– OUIIII
Moi :
– Vous le voulez ?
Foule :
– OUIIII
Moi :
– Alors criez avec moi : GERRY…GERRY…GERRY…GERRY
Foule :
– GERRY…GERRY…GERRY…GERRY
Au bout de quelques passes de plus en plus hystériques, Gerry-B et ses Pouels firent leur entrée dans la salle sous les acclamations dithyrambiques et tonitruantes des quelques 300 spectateurs présents, sur fond de Groovin’.
Laissant ses Pouels au pied de la scène, Gerry vint nous rejoindre rapidement. Il avait passé un grand drap fleuri autour de ses épaules et une couronne de fleurs multicolores en plastique ornait ses longs cheveux épars. Ses yeux gris brillaient d’une lueur étrange alors qu’après s’être installé à la B3 il commença de chanter sous les acclamations de la foule en délire qui se mit à danser partout, sur la piste et entre les tables.
Gerry-B :
– Everybody’s groovin… Everybody’s walkin’… Everybody’s talkin’… Everybody’s listenin’… Everybody’s dancin’… Yeah Yeah Yeah…
En coulisse, j’écrivais rapidement des paroles que j’allais porter en courant sur le lutrin de sa B3 pour que Gerry n’arrête pas de chanter, mais en québécois, sur Groovin’ :
Gerry-B :
– Rock’n’roll ma religion, voulez-vous prier avec moué ?
Rock’n’roll ma religion, voulez-vous chanter avec moué ?
Rock’n’roll, Rock’nroll protège-nous de la médiocrité
Rock’n’roll, Rock’n’roll tu es la Vie, notre Vérité
Rock’n’roll ma religion, voulez-vous crier avec moué ?
Rock’n’roll ma religion, voulez-vous hurler avec moué ?
Rock’n’roll ma religion, voulez-vous prier avec moué ?
Tout l’monde, tout l’monde, tout l’monde ! Tout l’monde !
Rock’n’Roll, Rock’n’Roll, Rock’n’Roll, Rock’n’Roll, Rock’n’Roll
Public :
– Rock’n’Roll, Rock’n’Roll, Rock’n’Roll, Rock’n’Roll, Rock’n’Roll
Au bout d’une dizaine de minutes, il fit signe à Johnny de passer à un long solo de guitare et il en profita pour descendre de scène et préparer ses Pouels à frapper leurs tambours sur un signal convenu entre eux, puis il remonta et vint vers moi :
Gerry-B :
– Aye ! Ti-Pierre ! Tu vas chanter Gros Cul, la chanson que tu chantais après-midi dans le parking, moué j’vas jouer du drum avec mes amis et faire ton back-up. J’vas apporter mon micro en bas du stage, t’chèque pour pas qu’il s’accroche, pi aye ! Tu veux-tu de la mescaline ? On en a en masse, j’en ai pris deux grosses cuillères à soupe avant de débarquer de l’autobus !
Moi :
-Non marci ! Pas de trouble ! GO !
Pendant que Gerry parlait à ses poilus, je fis en courant le tour des gars pour résumer rapidement la situation et faire signe à Carole de s’approcher du stage pour lui dire à l’oreille d’appeler l’ambulance et de demander aux ambulanciers de venir se parquer à côté de la porte d’en arrière du motel au cas où on aurait besoin d’eux car Gerry s’était bourré la face de mescaline verte en gelée comme à l’Hôtel Nelson en 1971 !
Je m’approchai du micro central que j’utilisais pour annoncer les pièces et parler avec les spectateurs et j’annonçai que Gerry-B et ses amis se joignaient maintenant à nous pour un morceau que nous avions composé spécialement pour la soirée avec la collaboration de notre ami Tony Roman :
Moi :
– Et voici maintenant avec Dieu et ses Apôtres, la chanson Gros Cul… Let’s Go Wèzo, compte le beat :
Wèzo :
– One, two, three, four …
La basse lourde et profonde de Willi doublant le beat, avec la guitare de Johnny jouant des grosses cordes, imprégnèrent la salle d’une atmosphère de folie latente jusqu’à ce que Wèzo fasse un deuxième compte, destiné à la percussion des Pouels, qu’il démarra par une passe complète sur sa batterie, que les Pouels attrapèrent au vol en se mettant à taper et à piocher sur leurs tam-tams bûches avec des mailloches en bois, un peu comme les célèbres tambours TAIKO japonais, mais en tellement plus rustique.
Surexité, Gerry-B, laissant ses disciples à leur piochage effréné, sauta sur la scène et reprit sa place à la B3. Alors là les amis ! Alors là ! Gerry-B se déchaîna dans un long solo rythmique, envoûtant, et Willi invita la foule à se déshabiller en criant dans son micro :
Willi :
– Tout l’monde tounu ! Tout l’monde tounu !
Quelques filles se levèrent et se mirent à danser en soutien-gorge. Des garçons enlevèrent leurs t-shirts et dansèrent avec elles. Je commençai à chanter, avec Gerry, Willi, et Johnny, faisant les back-ups de cette chanson à répondre des temps modernes :
– Beau cul, m’a t’awère m’a t’awère
Beau cul, m’a t’awère à soère
Beau cul, y va t’awère y va t’awère
Beau cul, y va t’awère à soère…
Moi :
– La première fois que je l’ai vu dans la rue
J’ai vu son beau gros cul dans la rue
Le chœur des nègres blancs d’Amérique reprit aussitôt sur le rythme des piochons qui s’endiablaient :
– La première fois qu’il l’a vu dans la rue
Il a vu son beau gros cul dans la rue
Moi :
– Y’était beau pi bin rond
Chœur :
– Y’était beau pi bin rond
Moi :
– Y faisait chaud ça sentait bon
Chœur :
– Y faisait chaud ça sentait bon
Chorus :
– Amène ton cul ma jolie, ma jolie
Amène ton cul ma jolie chérie
Moi :
– Ça fait pas longtemps que je t’aime
Mais jamais je ne t’oublierai
Chorus :
– Jamais il ne l’oubliera
Sur mon signal, Johnny se lança dans un solo déchirant comme lui seul sait le faire, et Gerry-B en profita pour aller en coulisse ingurgiter autre mescaline verte, en gelée, avec Belzébuth qui l’attendait pour s’envoyer quelques Mandrax dans le fond du gorgoton. Je demandai à Carole de s’assurer que les ambulanciers étaient bien à l’arrière du Motel. Elle revint aussitôt l’air paniqué :
Carole :
– Pierre ! Pierre ! l’ambulance est là mais la police aussi ! Demande aux filles de se rhabiller, vite ! Vite !
De plus en plus de danseurs envahissaient les espaces libres entre les tables et remplissaient la piste de danse alors que certaines filles enlevaient leurs soutiens-gorge et dansaient seins nus debout sur leurs chaises. Je pris le micro et faisant signe à Johnny de baisser son volume, je parlai à la foule :
Moi :
– Attention ! Attention tout le monde ! S’il vous plait ! Écoutez-moi s’il vous plait ! On continue à danser mais tout le monde se rhabille ! Tout le monde se rhabille ! On continue à danser mais tout le monde se rhabille. Ok ? Merci ! Des policiers vont faire une visite de routine, y’a pas de problème, on danse mais tout le monde se rhabille..
M’adressant à Willi, Johnny et Wèzo :
Ok les gars, on va jouer Câline de doux blues, pi vous autres les amis de Gerry, vous ne jouez pas sur celle-là, compris ? Go Wèzo ! Compte !
Les premiers accords de cette merveilleuse chanson transformèrent l’ambiance infernale du Dix en celle d’une garderie, et même un Gerry-B rayonnant sortit des coulisses en titubant pour s’installer à sa B3 et chanter le premier couplet de notre premier gros hit radio exclusivement chez CHOM fm.
Les deux policiers arrivèrent par l’arrière de la salle au moment même où Gerry, pris d’un vertige, tombait en bas de son banc, à genoux, et commençait à prier les mains jointes, pendant que ses apôtres poilus montaient sur la scène pour prier avec lui. Alors que les policiers, suivis de Gilbert le patron du Dix, montaient sur scène pour se rapprocher de Gerry-B, les ambulanciers, alertés par Carole, arrivèrent en trombe avec une civière et prirent le contrôle de la situation face aux policiers perplexes, en prenant rapidement les signes vitaux de Gerry, maintenant étendu par terre sur le dos, les yeux révulsés, murmurant doucement le Domine Iesu Christe de notre Messe des Morts grégorienne à l’Oratoire Saint-Joseph de Montréal en 1972 :
– On l’emmène à l’hôpital il est en apoplexie ! Vite ! S’il vous plaît, laissez passer ! Laissez passer ! Intoxication alimentaire grave ! Tassez-vous ! Laissez passer !
Les spectateurs faisant un passage, au moment où les ambulanciers portant Gerry-B arrivaient à la porte du fond de la salle menant à l’ambulance, Belzébuth sortit à son tour des coulisses pour tomber face contre terre aux pieds des policiers, râlant, l’écume aux lèvres. Sans hésiter, les deux gendarmes le prirent l’un par les jambes et l’autre par les épaules, et ils suivirent les ambulanciers au pas de course.
Tiens donc ! Deux intoxications alimentaires graves ! Un Dieu et son Diable ensemble à l’Hosto ! Non mais quelle fable ! Quelle histoire ! On ne saura jamais ce qu’ils se sont raconté mais le lendemain matin, nous étions tous sur la route vers Montréal. Nos deux déités, le bon et le méchant, dormaient à l’arrière de ma Cadillac Coupe DeVille conduite par Willi. Johnny était avec lui à l’avant, les deux groupies dans leur corvette jaune amochée, Wèzo et moi dans notre truck à pain rouillé, bringuebalant comme un vieux gallion sur la mer, piloté par le capitaine Pop’s Lulu, véritable sosie du Capitaine Haddock.
Quelques petites semaines plus tard, nous étions à Paris où nous attendaient d’autres aventures rockambolesques et de merveilleuses chansons à voir et à entendre sur le film et l’album TABARNAC.
Bonne semaine !
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE
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