Rencontre avec Rudy Caya de Vilain Pingouin
Publié le 23 février 2022
Par Ricardo Langlois
Vilain Pingouin est né à Montréal, dans la nouvelle mouvance du rock francophone du milieu des années 80, après quelques années de désaffection générale, partiellement due au blues post-référendaire. Ayant eux-mêmes fait partie de divers ensembles s’exprimant dans la langue du rock international pendant quelques années, les membres de la première formation décident de pousser plus loin l’expérience francophone amorcée par Michel Vaillancourt et Rudy Caya au sein de Les Taches entre 1982 et 1986.
Après seulement quelques mois d’existence, le nouveau groupe se présente au concours Rock-Envol au printemps 1987 puis s’illustre au premier Festival international de rock de Montréal (FIRM) et à L’Empire des futures stars, l’année suivante. En 1989, ils gravent un premier 45 tours François / Te retourne pas pour la jeune étiquette Audiogram à laquelle ils demeureront fidèles tout au long de leur carrière.
Un premier album suit bientôt, d’où sortiront plusieurs succès dignes de mention: Sous la pluie, Marche seul, Le train et Les belles années apportent tous une brise rafraîchissante dont les sonorités rappellent parfois les nouvelles tendances country américaines ou certains courants musicaux des années 60.
Fin 92, Vilain Pingouin propose un second album Roche et roule qui se veut plus éclectique, arborant des influences jazzy (Festin de pingouins, Le bleu du papier blanc), cajuns (P’tite vie, p’tite misère) voire folkloriques (Chu tu seul à soir et l’instrumentale Passe-moi le celt). Le groupe est alors pressenti pour faire partie d’une tournée provinciale en commandite intitulée Rock le lait qui connaît un accueil des plus délirants, en compagnie de France D’Amour et de Jean Leloup. (1)
L’entrevue
1- Moi : Je garde tellement de beaux souvenirs de toi, Rudy et de Vilain Pingouin. J’étais animateur à la radio de Châteauguay, on s’était croisés au centre d’achat. Tu souriais tout le temps. C’était la promo de votre 2e album. Pour moi, vous étiez un groupe rock parmi les meilleurs. Comment te voyais-tu à cette époque précise?
– Rudy : Comme un gars de band à sa place. Je vivais mon rêve de faire notre musique avec des amis.
2- Juste sur le premier album, il y a plein de hits Marche Seul, Salut Salaud, Sous la pluie et Les belles années. Pour moi, c’est un album culte du Québec, étiez-vous conscients de votre potentiel?
– Oui et non. Oui le potentiel de faire des chansons qui nous ressemble et qui ressemble et rassemble du monde qui se retrouvent dans ces chansons. Potentiel commercial? Pas du tout, mais la quantité n’a jamais été un but en soi. C’est plus comment les fans intégraient nos chansons dans leur vie et leur donnaient un sens propre à eux. Quand quelqu’un dit « ça c’est ma toune », il dit que cette chanson représente ses émotions, ses souvenirs, donc on est très reconnaissants qu’il choisisse une de nos chansons pour la trame sonore de sa vie. Ça, on avait même pas conscience de la vie d’une chanson après sa sortie.
3- Rudy, parle moi de ta jeunesse. Quelle musique tu écoutais? Quel genre d’ado étais-tu ? Tu jouais de la guitare? Aimais–tu le métal?
– Très jeune, j’ai été forcé d’apprendre le violon par mon père qui était maniaque de classique et d’opéra, ça jouait à la maison et ma mère, étant la fille d’un Irlandais de Boston, il y avait donc aussi de la musique anglophone et du traditionnel irlandais. Ado, du rock plus pesant comme Black Sabbath, Deep Purple et beaucoup de groupes moins connus aujourd’hui comme MC5, Blue Cheer, NY Dolls, Budgie, Montrose etc. Jeune homme, du punk comme les Clash, Sex Pistols, Ramones et de l’alternatif comme Bauhaus, Joy Division et tout ce qui sortait des sentiers battus. J’ai toujours été curieux de pas mal tout ce qui sortait de la norme et qui était moins « recette ».
4- Rudy, le deuxième album, Roche et roule a été un défi. Les titres Le droit de chialer, La mort, Délinquance, c’était vraiment du rock engagé (un peu anarchique), qu’en penses-tu?
– Oui, j’ai toujours été attiré par la musique qui avait aussi un impact social à différents niveaux. Les paroles et les histoires étaient aussi importantes pour moi que les notes. Après avoir appris à connaître ceux qui étaient vraiment fans du groupe et non du palmarès, on a compris que ceux-ci nous suivraient avec une musique plus proche de nos racines punk métal underground.
1993
5- Après, en 1998, l’album Yé quelle heure! Cet album a presque passé inaperçu, est-ce que je me trompe? Comment a-t-il été accueilli?
– Ce fut un album très difficile à faire, la compagnie de disques n’avait pas la même vision que le réalisateur, donc on avait dû recommencer 2 fois, ce qui tue un peu la magie et la spontanéité. Il avait bien été accueilli mais le groupe avait besoin de prendre une pause pour vivre et se ressourcer, ce que nous avons fait tout au long de notre carrière plusieurs fois. On a toujours fonctionné selon un principe de base, pour faire des chansons, faut avoir quelque chose à dire et pour avoir quelque chose à dire, il faut vivre.
6- Il y a eu les années 2000, Vilain Pingouin s’est séparé. Que s’est-il passé pour toi?
– Comme je l’ai mentionné, on ne s’est jamais séparés, juste eu des pauses de vie. Je savais que tout ce qui reste vraiment, ce sont les principes, l’amour et les souvenirs que je donnais à mes enfants. Le reste, c’est de la frime pour l’égo. Donc à ce jour, ils restent ma priorité devant TOUT le reste.
7- Tu as eu de gros problèmes de santé. Des AVC, je crois. As-tu eu peur de mourir ? As-tu changé ta manière de vivre?
– Oui, 4 et le dernier a laissé des séquelles. Non je n’ai pas eu et n’ai pas peur de mourir (souffrir oui, mais mourir non). Je suis fan de science, astro physique etc… et je crois fermement que ce n’est pas la fin et on verra la suite. Pour changer, c’est plus adapter, comme j’ai fait toute ma vie. Je ne regarde jamais ce que je ne peux plus faire, je trouve ce que je peux faire pour arriver au résultat que je vise.
8- Toi et moi, Rudy, on a le même âge, que penses- tu de la musique de maintenant ? Pour moi, la meilleure musique a été celle des années 70 et 80. Coté social, nous étions plus libres, plus heureux?
– Il faut distinguer le social du musical. Si la musique reflète la société dont elle fait partie, mission accomplie pour le social. Musicalement, tout est subjectif selon les goûts. Il y a encore des tonnes d’artistes très passionnés et talentueux qui disent ce qu’ils ont à dire et qui le font pour les bonnes raisons. Je connais des chefs d’œuvres et des navets de chaque décennie, mais ça prend une implication active à découvrir chaque époque pour trouver les bijoux dans la montagne de cailloux. Chacun est responsable de son bonheur.
9- À la radio de l’Uqam, en 2005, Hugo Mudie des Sainte- Catherines, m’a avoué qu’il était un fan fini de Vilain Pingouin, tu l’as rencontré?
Hugo Mudie, Rudy Caya et Jeff Dubé
– Oui on avait fait un show avec Yesterday’s Ring, qui est leur projet plus acoustique folk, mais Hugo était trop timide pour nous parler. Quelques années plus tard en 2007, sachant que je travaillais sur des chansons pour un 2ème album solo, Le Taureau (une autre pause, pas une séparation), il m’a lâché un coup de fil pour offrir ses services pour réaliser une chanson. J’ai accepté à condition qu’il réalise tout l’album. L’enregistrement s’est transformé en gros party créatif, avec les membres des Sainte Cath comme noyau principal de musiciens et en plus de jouer et faire des voix, Marc André Beaudet comme ingénieur, beaucoup d’invités comme des
membres de Vilain Pingouin, les frères Séguin des Dale Hawerchuk, Hugo St Cyr, Marie Ève Roy de Vulgaire Machin et plusieurs musiciens de la scène locale de l’underground.
Ça reste pour moi une des meilleures réalisation d’albums au Québec. On est aussi allé ensemble à Cuba tourner un clip pour une des chanson du disque. Depuis nous sommes restés amis et on profite de chaque occasion ou prétexte, pour travailler ensemble comme lors de notre spectacle virtuel « Le procès » cet hiver.
10- Dans une entrevue au Journal de Montréal, tu racontes que tu as donné ton dernier show en février 2020 à Winnipeg, est-ce que le groupe s’est reformé?
– Jamais séparé et on a toujours dit qu’on ne faisait pas de retour, juste des détours.
2017
2018, au Club Soda
2019
Festival d’été de Québec, Rudy Caya, Jeff Dubé et Polo. Photothèque : Justin Boulet
11- Il y a eu aussi la réédition en vinyle de Roche et Roule, pourquoi avoir choisi cet album?
– Demande des fans. On arrive à peine à faire les frais quand on sort un vinyle. Aussi pour se payer un trip et rêve d’ado et que les fans nous disent qu’on va pas s’endetter pour les 5 prochaines années pour le payer.
12- Sur ton site, vilainpingouin.com, il y a pleins de trucs intéressants. Cherches-tu a reconquérir ton public?
– Encore une fois c’est pour répondre aux demandes. On a toujours été bénis par les dieux du rock car nos fans sont toujours rester fidèles. Depuis plus de trente ans, on fait des spectacles et ils sont là et ils nous font découvrir à leurs enfants, qui deviennent aussi des fans. La majorité est entre 30 et 50 ans mais on est toujours surpris de voir des jeunes dans la vingtaine et des ados, chanter toutes les paroles à nos show.
13- Vilain Pingouin joue encore beaucoup à la radio, presque autant que les Colocs que j’admire beaucoup. Le groupe va passer à l’histoire, qu’en dis-tu?
– Très reconnaissant car ça permet de faire beaucoup de spectacles et du nouveau matériel. Pour l’histoire, je laisse ça aux historiens. Nous, on aura eu notre vécu et nos souvenirs, c’est déjà bien assez. Le reste est bien relatif.
Vilain Pingouin c’est un groupe engagé socialement… Musique de résistance qui justifie l’oppression politique et intellectuelle. Pour moi, c’est un groupe majeur, l’équivalent de Trust en France. Peut-être dans la mémé lignée que Rage Against The Machine dans les années grunge.
Les paroles sont à méditer, c’est une réquisition face au système ( le jeune Québécois aliéné, sans pays, sans repère idéologique). Malgré tout, une force tranquille, une manière ludique de voir le monde.
Voici un de mes textes favoris :Salut salaud
T’es même pas venu me dire salut
Je viens d’apprendre que j’te r’verrai plus
Juste un petit mot futile
Pour nous dire qu’c’était pas facile
Juste un petit mot futile
Pour nous dire que t’étais fragile
Et ces nuages qui planaient au-dessus de ta tête
Et cette cage qui te gardait comme une bête
Mais quand t’as décidé, t’as pas pensé à nous
Et maintenant j’reste seul à les regarder remplir le trou
Et j’entends…
Bon ben salut salaud!
J’penserai à toi quand y fera beau
J’espère que je t’en voudrai pas trop
Et pourquoi nous faire payer si cher
C’qu’on n’a pas su faire?
Et pourquoi ainsi nous punir
Pour c’qu’on a pas su dire?
Et je crois, et je crois
Que tu seras toujours en moi (bis)
Et ces nuages qui planaient au-dessus de ta tête
Et cette cage qui te gardait comme une bête
Mais quand t’as décidé, t’as pas pensé à nous
Et maintenant j’este seul à les regarder remplir le trou
Et j’entends…
Bon ben salut salaud!
J’penserai à toi quand y fera beau
J’espère que j’t’;en voudrai pas trop
Bon ben salut salaud!
Et je crois, et je crois
Que tu seras toujours en moi
Bon ben salut salaud!
J’penserai à toi quand y fera beau
J’espère que j’t’en voudrai pas trop
Bon ben salut salaud!
(1) Source : québecinfomusique.com
Ricardo Langlois est critique musical sur famillerock.com. Il est aussi critique littéraire sur lametropole.com. Il a écrit plus de 70 articles pour le site de l’Uqam dans les années 2000. Il a écrit quatre livres de poésie. Son dernier livre L’empire est maintenant disponible.
Fabriqué au Québec
Basé à Montréal, capitale mondiale du rock francophone
Photo de bannière : Florence Harnois
BANNIÈRE : DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE : MARCO GIGUÈRE
RÉDAC’CHEF : MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR : GÉO GIGUÈRE
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