Serge Fiori
Publié le 25 juin 2025
Par Glen Bourgeois
Mes impressions
Ma première expérience du génie de Serge Fiori, c’était l’album double En tournée (ironie, l’album qui n’était pas censé être…). La télé anglaise de CBC semblait diffuser le documentaire Harmonium in California de l’ONF en rotation les dimanches soirs (peut-être en alternant avec Rush, Exit… Stage Left et la série documentaire Heart of Gold).
Comme petit flot à peine d’âge de maternelle, je voyais l’humour de Serge à la télé, mais sa fragilité m’échappait. Le vinyle (emprunté d’une bibliothèque communautaire près de chez nous à Chéticamp, Cap-Breton, qui a introduit plusieurs artistes rock québécois et franco-canadiens dans mon vocabulaire musical), me charmait avec ses trois premières pièces, dont Comme un fou, Chanson noire et l’immense transformation qu’a vu Le premier ciel en tour-de-force fusion. Mais à mon jeune âge, c’était difficile de capter les subtilités du Corridor et des Lumières de vie, au point que j’étais déjà ailleurs par le temps qu’arrive le …Sage de clôture. Trois ans plus tard, j’ai eu le courage d’emprunter Les cinq saisons de la même bibliothèque. Sapristi, comment çà, le rock sans “drum”? Après quelques écoutes, j’ai commencé à comprendre la magie.
Sous peu, j’ai également commencé à m’apercevoir que Serge ne chantait pas comme les autres artistes francophones provenant de l’extérieur de l’Acadie. En premier, je me suis aperçu de son habileté de créer de longues pièces avec peu de mots… et parfois, aucun mot du tout (Histoires sans paroles). Bien que j’avais déjà entendu des vocalises à d’autres albums, les “di-da-li-da…” de Serge se rapprochaient plus au traditionnel, tout en démontrant une souplesse et une émotion qui s’éloignait bien des “tappeux d’pieds” (surtout à la fin de Vert).
Avec le temps, je suis venu à voir que les textes qui semblaient laisser parfois bien de trous révélaient bien davantage lorsqu’on se permettait de rêver un peu: les images de Louis-Pierre Bougie et le texte de Fiori qui accompagnaient l’enregistrement nous donnaient des indices à quoi rêver. Et que dire de la musicalité du groupe entier! Une panoplie d’instruments (dont Fiori lui-même en jouait presque la moitié) s’intègre dans un son voluptueux, à la fois complexe et simple. Sans que je le sache, Harmonium m’initiait à la musique progressive de type pastorale.
1988 – réédition des albums d’Harmonium
Ensuite les plus faciles d’écoute, autour de l’âge de 10 ans: l’intro mystérieuse de l’album Fiori-Séguin (dont j’avais mal lu et pensais voir Flori-Séguin) était hypnotique. Le piano Fender Rhodes de Fiori dansait même avant que le reste du groupe se présente à Viens danser et les pièces écrites en duo avec Richard Séguin reluisaient d’une tendresse qu’on aurait cru des scènes Jazz de New York. D’ailleurs, la joie qui émane des pièces Harmonium et Si doucement. Les sonorités qui mènent à réfléchir lors des pièces Aujourd’hui, je dis bonjour à la vie et Vieilles courroies. La complexité subtile des pièces De la chambre au salon et Un musicien parmi tant d’autres qui font un clin d’oeil subtil au progressif. Le tic-tac de la pièce Attends-moi (qui sautait par-dessus les mots “toujours pareil…” et faisait boucle sur Et tellement gris, un peu comment je me sens aujourd’hui).
Je m’aperçois de son nom parmi les choristes de l’album Valiquette est en ville dont le son était aussi séduisant que n’importe quel album enregistré en Californie. L’Heptade (version studio) était difficile d’écoute comparé à la version en spectacle à Vancouver.
Ma dernière découverte harmoniesque de mon adolescence était la surprenante 100,000 raisons à la réédition cassette du premier album. Comment ont-ils pu la garder loin de sa parution originale? (Je comprend mieux maintenant, bien que je ne suis pas d’accord.) Ma copie cassette fut vite remplacée par le CD, et sous peu, j’avais presque toute la collection sur ce format. (Fiori ne voulait rien savoir d’En tournée jusqu’à ce qu’on l’a piraté… Parlez-moi d’un trait positif bien rare du piratage musical.) Mais toujours aucune idée du gars ou sa brève carrière solo à l’époque.
La liste de noms d’anciens étudiant.e.s (y inclus ma cousine) et les égratignures à la copie bibliothèque de l’album éponyme étaient témoins de multiples écoutes précédentes. En effet, j’avais vu cette même copie chez ma cousine pendant mon année de maternelle (bien que j’en n’avais pas fait le lien à l’époque). Pourtant, peu de gens parlait d’eux, bien moins de Fiori: aucun mot à Radio-Canada pendant cette époque, la radio communautaire locale ne faisait que prononcer ses premiers mots lors de plusieurs diffusions de courte durée. C’était plutôt moi qui faisait jouer Harmonium à mes émissions et mes compagnons de classe n’en savaient absolument rien à l’époque de Debbie Gibson, Tiffany, Bon Jovi, AC/DC, Tears for Fears, Madonna, Janet Jackson, Michael Jackson… Mais je commençais à voir que la génération précédente connaissait cette musique d’Harmonium et l’appréciait, bien qu’ils n’en parlaient pas souvent.
C’était à l’université de Moncton (un peu plus près du Québec, au Nouveau-Brunswick) que je côtoie des étudiant.e.s de toutes sortes d’endroits francophones, y inclus la belle province. En deuxième année, je fais la connaissance de deux autres musiciens, l’un de Montréal, l’autre des Îles-de-la-Madeleine. Dans peu de temps, Pour un instant, 100,000 raisons, Aujourd’hui, je dis bonjour à la vie s’intègrent à un répertoire modeste qui voyait également une gamme de Plume à Daniel Bélanger, en plus de quelques compos. On était trio: guitare 6 cordes, guitare 12 cordes, basse électrique et trois voix. Bref, comme Harmonium à l’époque de leur premier album. Difficile d’ignorer les ressemblances.
Bientôt arriverait Sylvain Cossette avec son album Rendez-vous en 2001 et la jeunesse par chez-nous commence à s’apercevoir d’une chanson qui y apparaît, appelée Harmonium. Un des jeunes est fils de musicien qui compte une copie du disque éponyme d’Harmonium dans sa collection (et que je m’aperçois sur le lecteur CD du salon lorsque j’assiste à une soirée entre amis). Petit à petit, d’autres fans de Fiori s’affichent. Lors de quelques spectacles comme membre du groupe Entourage, je fredonnais “Pour un instant” parmi une petite sélection de reprises. C’est au festival Fais Do Do à Halifax (capitale néo-écossaise) qu’un membre d’équipe du groupe ontarien Swing me partage l’émotion qu’il ressent lorsque je chante “sa chanson préférée d’Harmonium.”
Toutefois, il faudrait attendre à l’épanouissement de l’Internet (de principe en mi-décennie 1990, mais bien davantage au 21e siècle) avant d’apprendre des raretés: Une chanson parmi tant d’autres (à laquelle on semble pouvoir prévoir En pleine face du deuxième album), Little Lady of Mine (dont je n’ai pas encore de copie)… en a-t-il d’autres?
Bientôt, j’apprend de Morphus (groupe qui a vu Fiori et le batteur beau dommagien Réal Desrosiers à côtoyer Fred Torak qui avait assuré la direction musicale et les arrangements des deux premiers albums d’Harmonium) et de leur courte aventure avec l’auteur-compositeur-interprèt
Frank Dodman, Serge Fiori, Réal Desrosiers et Andy Harvey
Et je ne faisais que commencer à m’apercevoir de sa fragilité, bien qu’il y en avait bien de preuves à ses albums, surtout “L’Heptade,” celui qui m’était le plus difficile d’écouter de bout en bout. Non à cause de la musique, mais à cause de… ces mêmes preuves? Ça m’a pris du temps, et il m’est encore difficile d’écouter ce chef d’oeuvre de bout à bout.
Maintenant, il est facile (et surprenant) de voir les anciennes entrevues à Youtube, d’un Fiori qui prend la parole lors des années ‘70 (parfois parmi le silence de ses compagnons de groupe), qui se prononce sur bien de choses, un peu comme un gars qui se foutait royalement de ce qu’on pensait de lui, un gars qui avait quelquechose à dire, un gars qui ne semblait pas trop tendre, et aucunement fragile. J’en reste encore émerveillé. Il y avait plusieurs facettes à ce musicien, même au-delà de sa musique. J’en ressentais un genre d’affinité, comme si je le ressemblais. Fiori qui se disait l’éternel adolescent… il pourrait autant me décrire de ces mots?
Ses disques m’ont accompagné de la maternelle jusqu’à ce jour
Pendant que Montréal fête (ou bien fêtait, avant qu’on apprenne des nouvelles)… je me sens en deuil. J’ai connu Serge Fiori à travers ses disques (et plus tard, ceux des autres tels Neil Chotem et Diane Dufresne). D’un film documentaire aussi, de trente minutes dont mes yeux d’enfant à l’âge de maternelle ne voyait que des traits positifs.
Ses disques m’ont accompagné de la maternelle jusqu’à ce jour, sans qu’autrui ne me les présente (ben, sauf son album solo des années ‘80). J’en ai appris par moi-même, un peu comme un secret qu’on ne partage pas car personne d’autre ne saurait le comprendre. Sauf que, deux provinces à l’ouest de la Nouvelle-Écosse, tout le monde le savait, semblait le comprendre et surtout, l’aimait, même s’il ne le ressentait peut-être pas (ou bien qu’il se sentait mal de toute l’importance qu’on lui accordait).
Avec son groupe de jeunesse Les Comtes Harbourg, j’en apprend encore.
Les Comtes d’Ambourg
Mais j’ai le regret de jamais pouvoir le rencontrer ou bien de l’entendre chanter en personne. Il était surtout sur mon bucket list ici à Montréal, mais il était aussi absent que l’homme invisible (tout en laissant des traces partout).
Sa biographie, de la plume de Louise Thériault, s’appelle S’enlever du chemin et j’ai l’impression qu’il s’agissait de sa philosophie pareillement.
Il ne reste que les sons sur disque, quelques films qu’on peut voir au site web de l’ONF, aux Archives nationales et sur YouTube… et les souvenirs d’autrui. Il s’agissait bien plus d’un musicien parmi tant d’autres: il m’a fait ressentir le Québec, pays lointain d’un simple décalage horaire, lorsque le reste des gens (sauf Beau Dommage et Charlebois) chantaient à la française.
Reposez en paix, Serge. Je porte le fleur de lys pour vous aujourd’hui.
Fabriqué au Québec !
Basé à Montréal, capitale mondiale du rock francophone !
BANNIÈRE : MURIEL MASSÉ
WEBMESTRE: MARCO GIGUÈRE
RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE
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